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IVG, PMA : notre corps nous appartient

La loi sur l’IVG célèbre ses 40 ans. Pourtant, ce droit reste toujours menacé par les anti-avortements. Nous devons continuer le combat pour que les femmes puissent disposer librement de leurs corps, comme le rappelle l’abandon de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes par le gouvernement.

• 17 janvier 1975 / 17 janvier 2015 : 40 ans d’IVG en France

Ce samedi 17 janvier 2015, la France fête les 40 ans de la promulgation de la loi sur le droit à l’avortement, dite « loi Veil ». C’est aussi l’occasion de célébrer les six mois de la suppression de la notion de « détresse » dans la loi*, au grand dam d’une soixantaine de sénateurs UMP et autres anti-avortements.

Mais nous n’avons pas que des avancées à fêter, loin s’en faut. Le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est encore un droit « à part ». De l’aveu-même du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’IVG reste « non consacré[e] expressément par les textes juridiques comme l’expression d’un droit ».

Nous parlerons dans ce texte de « femmes » comme nous préférons utiliser le féminin au lieu du masculin neutre. Mais nous l’affirmons, même si cela est encore considéré comme le tabou ultime : l’IVG, tout comme la PMA, concernent également les hommes trans (du moins ceux qui n’ont pas subi d’opération de stérilisation). La libre disposition de son corps concerne d’ailleurs l’ensemble des personnes trans, comme les intersexes.

Une multitude d’obstacles se dresse devant une femme souhaitant avorter, dont on aurait pu penser qu’ils disparaîtraient au cours de ces 40 ans. Las, 130 centres de santé pratiquant l’IVG ont fermé ces 10 dernières années ; la filière manque cruellement de moyens et de valorisation ; l’accès à une information neutre est rendu difficile par la présence de lobbys anti-choix très agressifs et organisés sur Internet ; les listes d’attente sont décourageantes et aboutissent dans certains cas à l’impossibilité d’avorter dans les délais ; ceux-ci ne sont pas uniformisés en Europe ; la gratuité n’est pas toujours garantie… Pire peut-être : les témoignages montrent encore que les femmes subissent, en plus de ce parcours de la combattante, tout le poids de la culpabilisation et de la remise en cause incessante de ce choix éminemment personnel, par le corps médical comme par l’entourage. Le programme présenté par Marisol Touraine et Pascale Boistard le 16 janvier 2015 vise à améliorer ces conditions d’accès. Espérons qu’il pourra être mis en oeuvre et suivi d’effets.

• Education et contraception

Le cas de l’Espagne en 2014 nous rappelle à quel point ce droit, même en France, est fragile et loin d’être acquis. Il nous rappelle que les lobbys anti-choix sont assez puissants pour se faire écouter et gagner du terrain. Et que nous devons rester vigilantes pour le préserver.
Malheureusement, bon nombre de jeunes étant né.e.s avec ce droit, apparemment acquis et inaliénable, ne ressentent pas le besoin de se mobiliser. Pourtant, une femme sur trois aura recours à l’IVG dans sa vie. Les conditions d’accès et les listes d’attente, aujourd’hui, ne garantissent plus à chaque femme de pouvoir se faire avorter en France si elle en a besoin.

L’éducation à la sexualité, devenue transversale, et dont trois séances annuelles sont obligatoires aux collège et lycée, est inapplicable. En effet, quel.le professeur.e se désignera pour réduire ses heures de cours au profit de cette éducation ? Et sur la base de quelle formation ? Qui garantit que cet enseignement sera neutre, et que chaque question posée trouvera une réponse adéquate ? Encourageons les établissements à faire appel à des associations spécialisées, en dehors de toute polémique, sans se laisser dicter leurs programmes par des lobbys anti-choix. Les jeunes accèderaient alors à une information complète, intégrant la pilule du lendemain, la responsabilité des deux partenaires, en espérant que l’IVG soit alors traitée, dans l’éventail des solutions, comme une réponse possible, et non comme l’échec des femmes.

Encore aujourd’hui, la contraception repose majoritairement sur celles-ci :

• le préservatif externe (couramment appelé « masculin ») est encouragé pour se prémunir des IST et MST, mais trop souvent, la femme est appelée à la vigilance, amenée à le réclamer… ce dont pourrait la soulager le préservatif interne (dit « féminin »), mais celui-ci ne bénéficie encore d’une publicité que trop rare ;

• dans le cadre d’un couple hétérosexuel qui se serait acquitté de tous les tests médicaux et qui choisit d’abandonner le préservatif, force est de constater que la contraception retombe sur les seules épaules de… la femme ;

• la recherche sur la contraception masculine est au point mort. Les firmes pharmaceutiques se refusent toujours à investir dans les essais cliniques pour développer à grande échelle une pilule « masculine » contraceptive, pourtant déjà existante. Or, en France, la pilule « féminine » reste le moyen de contraception le plus prescrit : il concerne la moitié des femmes. Ce dogme du tout-pilule pose problème à divers titres et a encore du mal à s’effriter. Les médecins continuent à la prescrire en masse, par habitude, bien souvent sans prendre en considération le mode de vie des patientes, la réaction aux hormones ou la sexualité (trois IVG sur quatre concernent une femme sous contraceptif)… Ces femmes peuvent alors avoir besoin de recourir à l’IVG, ce pour quoi le corps médical les stigmatise et les culpabilise bien souvent (sauf une poignée d’irréductibles militant.e.s convaincu.e.s dont il faut saluer l’engagement)… Le cercle vicieux se poursuit.

• Dédramatiser l’avortement

L’avortement est, dans les médias comme en politique, présenté comme un échec, un pis- aller, un choix douloureux, un dernier recours et il n’est accepté que présenté comme tel. Dans les années 1973-1975, c’est l’argument de la santé publique qui a permis de gagner la bataille de l’IVG : il fallait sauver les femmes de conditions sanitaires déplorables, les préserver des complications, officialiser une situation clandestine contre laquelle il était quasi-impossible de lutter par la répression.
Même si les féministes ont défendu dans la rue l’idée de libre disposition de leurs corps par les femmes, ce n’est pas l’argument que les députés ont retenu. Simone Veil a gagné en affirmant devant une Assemblée presque exclusivement masculine que « l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue », que « c’est toujours un drame, cela restera toujours un drame ». La loi veut « contrôler » l’avortement, et en même temps, « en dissuader la femme ». De tout cela vient l’expression consacrée : « IVG de confort » et son contre-argument : « il n’y a pas d’IVG de confort, l’IVG n’est jamais un acte anodin pour une femme »… En tant que féministes, refusons ces affirmations, prenons nos distances avec ces lieux communs.

La « libre disposition de son corps »… cette expression scandée par toutes les féministes, jusqu’à épuisement, jusqu’à ne plus être ni comprise ni entendue, n’a jamais permis de gagner des droits, dans notre société reposant sur la domination masculine. Cet argument repose pourtant sur l’idée simple que le corps d’un individu lui appartient, que la personne concernée est la seule apte à décider pour elle-même ; qu’elle veuille ou non garder ou porter un enfant ou subir une opération. Nous pensons ici aux personnes trans bien trop souvent contraintes de subir une opération de stérilisation pour accéder au changement d’état civil…!

• IVG, PMA : même combat !

Malgré certain.e.s qui utilisent encore l’argument sanitaire et victimaire pour défendre l’IVG, nous l’affirmons, même si cela en fait tiquer plus d’un.e : IVG et PMA (procréation médicalement assistée) relèvent du même droit à disposer de son corps. Quelle que soit la situation familiale, économique, sociale, qu’elle soit dans une situation de « détresse » ou non, une femme (ou un homme trans) doit pouvoir décider pour elle-même, sans culpabilisation, sans avoir à se justifier, de ce qu’il adviendra de son utérus.
Nous ne nous résoudrons pas à gagner la bataille de la PMA en usant exclusivement d’arguments larmoyants sur les femmes qui vont en Belgique et subissent de graves infections en raison du manque de suivi. C’est une réalité, c’est une catastrophe, c’est une situation qu’il faut stopper, mais ce ne doit pas être l’argument principal utilisé par nous, les féministes.
Le rôle des féministes est de rappeler que la domination masculine se fonde sur le contrôle de la capacité de procréation des femmes, dont la PMA pour toutes est une remise en cause totale. Réaffirmons notre engagement pour l’accouchement sous X, droit sur lequel beaucoup, même à gauche, voudraient revenir. Ramenons la question de la libre disposition de soi au centre du débat ; refusons que les femmes aient quelque explication que ce soit à donner dans leur choix d’avoir ou non un enfant ; finissons-en avec la culpabilisation et le misérabilisme. Changeons de perspective, et surtout : ne faisons aucune concession face aux conservateurs qui n’acceptent le droit à l’IVG que si les femmes en souffrent, et qui n’accepteraient l’ouverture de la PMA à toutes les femmes qu’à condition qu’on leur prouve que celles-ci se meurent dans le Thalys.

* Pour rappel, la formulation « femme qui ne veut pas poursuivre une grossesse » a remplacé le 31 juillet dernier « que son état place dans une situation de détresse ».